Tim Heron, docteur en études anglophones, est maître de conférences à l’Université de Strasbourg. Ses recherches se situent à la croisée des études irlandaises et britanniques, et des études culturelles. Plus particulièrement, ce dernier s’intéresse à l’Irlande du Nord pendant et depuis la période des « Troubles » ainsi qu’à la musique populaire et aux cultures dites « alternatives ». Si Tim Heron travaille actuellement sur un projet dédié à la sorcellerie et au paganisme contemporain dans le monde anglophone, il est également auteur de nombreuses publications telles que « Northern Ireland Punk Rock and the American Teenage Myth » (Epure, 2019) ou encore Alternative Ulster ! La scène punk en Irlande du Nord (1976-1983) (Riveneuve, 2021). Sa présentation du 27 janvier 2022 également intitulée « Alternative Ulster ! La scène punk en Irlande du Nord (1976-1983) » porte justement sur son dernier ouvrage, lui-même issu de sa thèse.
C’est en 1976, dans les îles Britanniques, que surgit le phénomène punk. S’il fait souffler un vent de panique à Londres en remettant en cause certains dogmes et principes moraux de la société anglaise, en Irlande du Nord, le punk prospère et rassemble. Affectés par des conditions économiques désastreuses et des violences intercommunautaires, les jeunes nord-irlandais semblent se trouver dans une situation sans issue et se tournent vers le punk. À la fin des années 1970, les jeunes générations adeptes du punk, par leurs tenues et leur pratique de l’espace, font ainsi oublier l’offre culturelle rachitique de l’époque en proposant une tout autre image de l’Irlande du Nord.
Mais pourquoi s’intéresser au punk ? Cette sous-culture ou « culture de la marge » dont le slogan « No Future » reflète les diverses contestations sociales et politiques inhérentes au phénomène, connaît un franc succès en Asie, en Amérique Latine et en Europe. Si elle a un effet notable sur la culture mainstream, elle reste néanmoins considérée avec circonspection et encore plus dans le domaine académique. Et pourtant, le punk semble primordial pour comprendre les luttes et révoltes contemporaines : en effet, il permet par exemple de sortir du carcan officiel de l’Irlande du Nord des années 1970 et d’éviter l’idée d’une lutte binaire entre catholiques et protestants. Habillés de leurs tenues punk, ces deux groupes religieux sont d’ailleurs indissociables. Ainsi, comme le souligne Tim Heron, cette étude vise non seulement à mettre en lumière certain aspects de l’histoire qui tendent à être négligés, mais aussi à démontrer comment le phénomène punk trouble les représentations de l’Irlande du Nord des années 1970 et 1980.
À travers le punk s’expriment des voix parallèles, marginalisées par les grands récits. Cette œuvre, une lettre d’amour à une Irlande du Nord mal aimée et mal comprise selon les mots de l’auteur, est notamment constituée d’entretiens, d’un corpus de 200 chansons, d’archives de presses locales ou encore de multiples sources secondaires. Cependant, l’histoire restait à écrire. Au cours de son intervention, Tim Heron fait part de son enthousiasme mais aussi des nombreuses difficultés rencontrées lors de sa recherche : en dehors du film Good Vibrations (2012) et d’une poignée d’ouvrages qui ne font référence qu’aux groupes les plus connus, les sources sont rares et l’intérêt pour le punk, presque inexistant. La raison ? Le conflit nord-irlandais qui monopolise l’espace mais aussi les esprits.
Tim Heron décide donc d’organiser des entretiens avec des acteurs de la scène. Sa première interview, il la décroche d’ailleurs avec le groupe le plus influent de l’époque : les Outcasts. Mais ce travail ethnographique s’avère plus délicat que prévu car les membres du mouvement punk se méfient des institutions et encore plus des universitaires. Néanmoins, Tim Heron est un ancien skate punk et grâce à leurs centres d’intérêt commun, celui-ci gagne rapidement la confiance des personnes interviewées, des acteurs de la scène punk qui se positionnent systématiquement du côté unioniste ou nationaliste et qui s’adonnent ouvertement au « Telling », une pratique qui vise à déterminer l’identité ethno-nationale d’un individu. Autre difficulté : l’imprévisibilité du travail ethnographique. Entre les interviews qui s’annulent à la dernière minute et d’autres qui n’étaient pas prévues – Tim Heron mentionne notamment l’entretien inattendu qu’il a eu avec son tatoueur, auparavant actif sur la scène punk – les rebondissements sont nombreux.
Bien qu’Alternative Ulster ! devait rester un sujet de thèse, Tim Heron reçoit une proposition de publication de la part de Solveig Serre et de Luc Broden, pour la maison d’édition Riveneuve. Il accepte mais se voit dans l’obligation de respecter le format du livre et donc, de raccourcir sa thèse. Si la tâche est fastidieuse, il décide néanmoins de conserver les trois grandes parties de son travail : la première, qui porte sur la scène punk, fait mention du « désert rock » en Irlande du Nord et démontre comment, en pleine période de conflit, la scène punk a pris forme. Comme point de départ, Tim Heron cite notamment le concert des Clash qui devait avoir lieu le 20 octobre 1977 mais qui a finalement été annulé, créant un véritable élan de solidarité entre les jeunes punks.
Après cette première partie qui met l’accent sur les interactions inédites entre les jeunes des communautés rivales, Tim Heron s’intéresse aux tenues et aux corps des punks. Cette esthétique qui choque lorsqu’elle émerge en Angleterre en 1976, adopte des codes variés et complexes : née de la rencontre entre plusieurs sous-cultures d’après-guerre, elle se veut véritable gage d’authenticité de la communauté punk. Enfin, dans une troisième et dernière partie, Tim Heron analyse les thématiques des chansons punks nord-irlandaises : des Outcasts aux Undertones, Tim Heron insiste sur l’importance de l’attitude négativiste et de la culture adolescente avant de distinguer punk réaliste et punk populaire, l’un traitant davantage de sujets sociétaux et l’autre opérant plutôt une distance ironique avec la société.
Enfin, s’il est particulièrement difficile de répondre aux contraintes de l’éditeur et notamment de réduire la taille du texte, Tim Heron explique que la couleur de la couverture du livre a également posé un problème majeur. En effet, celui-ci a insisté pour éviter le vert et l’orange, des couleurs bien trop symboliques à son goût. À la place et après de nombreuses suggestions, il opte pour le violet, une couleur neutre bien plus adaptée au conflit nord-irlandais. Covid oblige, Tim Heron est seul face à son manuscrit et reconnait que l’aventure de l’édition fut bien plus palpitante que celle de la rédaction. Ce travail collaboratif, qui n’aurait pas pu voir le jour sans de multiples relectures, sort enfin le 16 septembre dernier et donne, à travers une recherche complexe mais passionnée, un aperçu de la vie de punk à la fin des années 1970, en Irlande du Nord.
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Léa Mulvet (February 6, 2022). 27/01/22 – Tim Heron : « Alternative Ulster ! La scène punk en Irlande du Nord (1976-1983). ». AIRE IRLANDE. Retrieved September 9, 2024 from https://doi.org/10.58079/awqj